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Un an après l’assassinat de Hrant Dink

vendredi 18 janvier 2008, par Maison Populaire de Genève

C’est une colombe de paix qui vient de tombe martyre

J’aurais dit à Hrant que...

Cengiz ÇANDAR

La moitié du mois de janvier est passée. Il reste trois jours avant la date anniversaire du meurtre du journaliste turco-arménien Hrant Dink. L’an dernier, le 15 janvier, il était bien portant et en vie. Nous vivions sans savoir qu’il serait tué le 19 janvier. Nous étions tous ensemble. Mais trois jours plus tard, nous avons perdu quelqu’un.

Et depuis, nous n’avons pas pu en quelque sorte nous multiplier, je pense. Nous sommes restés avec quelqu’un en moins.

La première chose qui m’est venue à l’esprit, le premier jour de 2008, fut : « Nous entamons le mois du meurtre de Hrant. » Et je me suis dit : « Dans 19 jours, ce sera l’anniversaire de sa mort. » Et maintenant, il reste trois jours.

L’an dernier, le 15 janvier, je pense que Hrant était soit en train d’écrire ou prévoyait d’écrire un article qu’il avait intitulé : « Mon âme nerveuse, comme une colombe inquiète. » Puisque l’article a été publié le jour de son assassinat, il a dû être envoyé pour impression le jour précédent. Donc, l’an dernier, le 15 janvier il écrivait ou prévoyait d’écrire cet article.

Ce qui est important c’est que Hrant était nerveux comme une colombe le 15 janvier de l’an dernier. Quatre jours plus tard, sa nervosité était confirmée. « La colombe a été saignée. »

***

Comme des centaines de milliers de personnes dans ce pays et dans le monde je suis resté concentré sur Hrant des jours durant. Les gens essaient de garder Hrant en vie en organisant des cérémonies commémoratives, des débats et des expositions.

Depuis des jours je suis de mauvaise humeur, comme si Hrant était parti pour un long voyage, et nous ne pouvons pas le voir, mais il reviendra, et il faudra que je lui dise ce qu’il s’est passé l’an dernier, car il n’a pu le voir ou en entendre parler puisqu’il était parti. J’essaie donc de faire un bilan dans ma tête.

J’essaie de classifier les faits dans mon esprit, de façon hiérarchique, de telle manière que si Hrant devait revenir - je sais que c’est impossible, mais quand-même - et me demander : « Que s’est-il passé ici depuis que je suis parti ? » je sois capable de lui répondre.

Depuis qu’il est parti, la chose la plus importante a été qu’il n’est pas là. Le 19 janvier 2007 est le jour où il a été assassiné. Il y a eu de nombreux développements importants en 2007, mais aucun aussi important que sa mort le 19 janvier ; l’histoire le prouvera tandis qu’elle s’écrit et qu’elle est mieux comprise. C’est mon avis, et je lui fais souvent savoir aussi.

« Il y a eu une période pré Dink et une période post-Dink, comme l’ont dit de nombreuses voix. Et cela devrait être daté ; nous ne pouvons plus être comme nous l’étions dans le passé et nous ne pouvons pas rester comme nous le sommes à présent. Ce n’est pas simplement pour exprimer combien Hrant est important pour nous, ou sa valeur ou sa personnalité critique, le tout représentant une part de l’histoire. Cela signifie également une transformation sincère qu’il a opérée dans nos esprits, autant que son meurtre a causé une douleur et le sentiment d’être invalides », a écrit Nilüfer Göle, une professeure de sociologie renommée . À un moment dans son article, elle écrit également : « Avec le meurtre de Hrant, c’est comme si l’année 1915 était revenue ; le passé et le présent se chevauchent car ce meurtre commis devant nos yeux à tous, nous rend complices du passé et du présent. Nous avons pris en plein visage le fait que nous ne pouvons plus être innocents. »

Je dirais à Hrant, « Après que ces phrases ont été écrites, il s’est passé quelque chose dans ce pays que tu ne croirais pas, même dans tes rêves. »

« Abdullah Gül a été élu président en dépit d’une intervention militaire. Tu ne vas pas le croire, mais le Parti Justice et Développement (AKP) a gagné les voix d’une personne sur deux et a reformé un gouvernement. Tout ceci s’est passé dans ce contexte de polarisation que ta mort a déclenché et dans le sillage d’une crise politique due à la même polarisation. La déception que ta mort a créée s’est soudainement transformée en un espoir joyeux. », c’est ce que je dirais à Hrant. Que lui dirais-je d’autre, s’il le demandait ?

Alors, je pense que nous ferions une longue pause dans ce “dialogue”.

Je me demanderais si je devrais dire : « l’enquête et le procès qui ont suivi ton meurtre se sont transformés en ‘scandale’ dans l’histoire de la justice turque et de la sécurité bureaucratique. » Mais c’est la vérité.

S’il me posait la question, « Comment cela a-t-il pu se produire ; comment cela se fait-il, puisque Gül est devenu président, Beşir Atalay ministre de l’Intérieur, Recep Tayyip Erdoğan, qui est venu présenter ses condoléances chez moi, est devenu un Premier ministre puissant ? » J’aurais du mal à lui répondre.

Ou je passerais peut-être la balle à Murat Belge et lirais cet extrait : « Vous avez été élu au gouvernement avec presque 50% des voix. Vous a-t-on donné ces voix pour que vous fassiez des ouvertures démocratiques ou pour que vous vous entendiez avec vos opposants qui veulent vous empêcher de faire ces ouvertures et pour que vous fassiez leur conquête ? » (Titre de l’article : Don’t solve the problem, just play with the ball.)

Je devrais peut-être parler à Hrant du journaliste qui fait des déclarations cinglantes dans ses articles, mais dont on parlait peu quand il était en vie ; H. Gökhan Özgün. Hrant ne le croyait pas, mais Özgün a dit : Cette république a été établie pour convertir la Turquie au christianisme et ensuite à l’islam“ dans son article intitulé “Pourquoi l’Alévisme est encore un problème ?”

Il est probable que la raison pour laquelle Hrant a été assassiné, et pour laquelle l’enquête sur le meurtre a été à ce point insuffisante se trouve dans la déclaration d’Özgün. Il a également fait l’observation suivante : « Il y a une chose dont je suis certain. On ne peut pas ne pas résoudre la question alévie, on ne peut pas non plus résoudre la question de l’Article 301 , même en 100 ans, et on ne peut pas résoudre la question kurde, même en 100 ans. » 301 ?

Je dirais à Hrant : « Ils ont même échoué à amender l’Article 301, sans parler de l’abolir. Si nous continuons à nous impliquer dans cette question, nous serions piégés nous aussi. Et nous viendrons peut-être là où tu es. »

Qui sait ?

L’an dernier, le 15 janvier, Hrant était nerveux comme une colombe et n’a-t-il pas été tué quelque jours après avoir écrit : “…mais je sais que dans ce pays les gens ne s’en prennent pas aux colombes. » ?

Qui aurait pu le savoir ? direz-vous.

Maintenant nous le savons.

C’est « l’information » la plus importante de l’année 2007 alors que nous passons à 2008, avec la victoire de l’AKP aux élections avec 47% des voix et l’élection de Gül comme président. Ceci est bien plus important que le début du “processus d’acceptation”.

J’aurais peut-être aussi dit cela à Hrant. (Turkish Daily News ©Traduction C.Gardon pour le Collectif VAN ,17 janvier 2008)

Maintenant ! Nous sommes tous arménienne....

C’est une colombe de paix qui vient de tombe martyre

Il y a quelques mois, lors de notre rencontre à une conférence tenue au Centre international de la Presse à Bruxelles, Hrant Dink nous a détaillé les menaces constantes contre sa personne et la rédaction de son journal Agos.

D’origine arménienne, Dink a plusieurs fois été poursuivi par la justice turque et devenu la cible des milieux ultranationalistes et militaristes.

Comme confirmé par les agences de presse internationales, Dink était connu et respecté comme défenseur ardent des droits de l’Homme dans les milieux démocrates en Turquie. Il a fait l’objet de plusieurs poursuites en raison de ses propos sur le génocide des Arméniens commis sous l’empire ottoman, qu’il a qualifié de "génocide", une position lui valant l’hostilité des nationalistes turcs.

À propos de la nature du génocide des Arméniens commis en Anatolie lors de la Première guerre mondiale, Dink dit clairement : "Bien sûr je dis que c’est un génocide. Parce que le résultat identifie ce que c’est et lui donne un nom. Vous pouvez voir qu’un peuple qui a vécu sur ces terres pendant 4.000 ans a disparu".

Malgré ses tentatives de donner à l’Union européenne un image “démocrate”, le gouvernement actuel s’est rangé récemment à côté des négationnistes et ultranationalistes déchaînés.

Quant aux medias turcs, malgré les larmes de crocodile qu’ils versent aujourd’hui, c’est la grande majorité de journaux et de chaînes télévisées turques qui provoquent depuis des années la population turque contre les peuples non-turcs comme Arméniens, Assyriens, Kurdes et Grecs…

Même dans les autres pays comme la Belgique, les missions diplomatiques et les éditions européennes des journaux turcs mènent une campagne haineuse contre tous ceux qui ne s’allient pas à la politique négationniste d’Ankara. Sous l’impulsion de cette campagne, même les élus sur la liste des partis politiques belges sont allés jusqu’à demander le démantèlement du monument de génocide arménien à Ixelles.

L’assassinat de Dink est une des conséquences tragiques de cette campagne qui constitue à nos yeux un crime contre l’humanité.

En tant qu’organisations issues de l’émigration politique en provenance de Turquie, nous saluons la mémoire de Hrant Dink, transmettons nos condoléances à sa famille, au peuple arménien et à toutes les forces démocratiques de Turquie.

Nous appelons également les instances européennes et belges à réagir énergiquement contre ce crime et à condamner la politique négationniste et haineuse des dirigeants politico-militaires de Turquie qui enfoncent sans cesse la porte de l’Union européenne.

Pour que les pratiques criminelles d’Ankara cessent, les dirigeants et les forces démocratiques européennes soient plus vigilants et exigeants vis-à-vis du régime répressif d’Ankara.

Bruxelles, le 19 janvier 2007

L’Association des Arméniens Démocrates de Belgique aadb.asbl@hotmail.com

Les Associations des Assyriens de Belgique nahro.beth-kinne@scarlet.be

L’Institut Kurde de Bruxelles kib@skynet.be

La Fondation Info-Türk http://www.info-turk.be

Maison Populaire de Genève www.assmp.org


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